1 an de lockdown : reviendra-t-on à la vie d’avant ?

Après plus d’un an de crise, en tant qu’immunologiste, le constat de Sophie Lucas , UCLouvain, est avant tout positif  : « on a appris beaucoup de choses au sujet du virus, et surtout, on a réussi à développer un vaccin en un temps record : il s’agit d’un exploit technologique inédit. » Concevoir et tester un vaccin en 6 mois, c’était impensable... « et pourtant, on l’a fait ! » Trop vite - Non ! La pandémie exigeait une réaction rapide. Et de rappeler ce qui a permis ce bond en avant technologique : les connaissances scientifiques préexistantes, liées aux épidémies comme celle du SRAS en Asie mais surtout à 200 ans d’histoire de la vaccination ; une collaboration inédite entre scientifiques au niveau mondial ; une technologie innovante à base d’ARN messagers ; des moyens financiers colossaux et le soutien des états ; la superposition des phases d’essais cliniques et leur évaluation en temps réel par les agences de régulation.

Un bilan positif en termes de vaccins. Mais une inquiétude quant à l’apparition de variants du virus, qui compliquent la gestion de la pandémie et retardent la sortie de crise : « la leçon, c’est qu’il est indispensable de continuer à étudier et surveiller le virus et ses variants de manière systématique afin de pouvoir réagir de manière adaptée. C’est cette surveillance qui a permis de détecter le variant britannique, par exemple. »

On a identifié aujourd’hui des milliers de mutations dans les virus SARS-CoV-2 dans le monde. Ces mutations sont inévitables et surviennent naturellement, de manière aléatoire, lorsque le virus se multiplie. C’est la même chose pour beaucoup d’autres virus, notamment celui de la grippe. Les mutations se transmettent de génération en génération de virus. La plupart sont totalement neutres (elles n’ont pas d’effet sur le comportement du virus). Certaines, beaucoup plus rares, vont conférer un petit avantage au virus qui les porte, améliorer sa capacité à proliférer ou infecter de nouvelles cellules (c’est ce que l’on appelle un avantage sélectif pour un virus). En se multipliant beaucoup, une lignée de virus avec une série de mutations données peut finir par prendre la place de la lignée précédente, surtout si elle a un avantage sélectif. C’est cette lignée de virus qui émerge, que l’on appelle un variant. Ces derniers mois, on a vu apparaitre 3 nouveaux variants qui sont devenus prédominants dans certaines régions du monde (Brésil, Afrique du Sud et Grande-Bretagne). Ils sont différents et sont survenus indépendamment les uns des autres.

Le problème - De nouveaux variants pourraient être résistants aux réponses immunitaires (celles que l’on a fait après une contamination avec un ancien variant, ou celles suscitées par le vaccin). « Ce n’est pas le cas pour l’instant avec le variant britannique. Mais c’est pour ça qu’il est capital de surveiller la circulation du virus de près, sans relâche, pour pouvoir détecter l’émergence de nouveaux variants et adapter les vaccins dès que ce sera nécessaire » insiste Sophie Lucas. Le variant sud-africain pourrait être un peu résistant à certains vaccins, mais ce n’est, à ce stade, ni certain ni très préoccupant, si les vaccins disponibles continuent à protéger contre les formes graves de la maladie. « C’est essentiel pour éviter une augmentation exponentielle des hospitalisations et l’engorgement des hôpitaux. »

La vie d’après ? « Ce sera une ère où les risques de nouvelles pandémies seront bien présents. Il faudra accepter de faire 3 pas en avant, et parfois 1 ou 2 pas en arrière. Il faudra, dans certaines circonstances, à nouveau porter le masque et être attentifs à ses gestes et contacts. Il faudra se faire vacciner régulièrement. Ce sera une vie sans doute un peu moins insouciante. » Avec une note d’espoir , tout de même : « cette pandémie a permis de développer des outils pour l’avenir qui seront incroyablement utiles. Grâce aux vaccins, on va vers un mieux, on va enfin pouvoir commencer à en voir les bénéfices. »

2020, année noire. La crise a démontré que gérer une courbe de contaminations n’est pas une science exacte. Pourquoi - Selon Niko Speybroeck, épidémiologiste UCLouvain, « le Sars-CoV-2 est un virus en perpétuelle évolution. » Si l’on compare son fonctionnement avec d’autres virus, il se situe actuellement entre deux extrêmes :

  • Un virus comme l’Ebola provoque des symptômes graves, mais n’est infectieux que lorsque les patients sont symptomatiques. Contrôler un tel virus demande de détecter les personnes avec symptômes, de suivre leurs contacts et de les isoler.
  • D’un autre côté, il existe des virus comme le Zika qui ne provoquent presque pas de symptômes. Au moment où les cas se démarquent, l’immunité collective s’est déjà établie.


« Le covid-19 prend une position intermédiaire via une propagation rapide et silencieuse , amorcée par des cas asymptomatiques. Un très bon suivi de contacts garde un tel virus sous contrôle mais le moindre petit changement dans ce suivi peut avoir un effet considérable et explique la différence de succès entre les pays. » Plusieurs pays en ont fait les frais en sous-estimant le danger d’une courbe exponentielle, pensant que leur système de santé serait suffisant pour enrayer l’épidémie. La solution , pour maintenir une situation stable - L’anticipation  : « elle permet de limiter les contaminations - plus tôt on intervient, mieux c’est. A l’inverse, un effet yoyo (ou stop and go, soit tolérer le virus tout en essayant de le garder sous contrôle) peut avoir des conséquences désastreuses » , comme la Belgique l’a expérimenté, avec une augmentation de décès jamais observée depuis la 2e guerre mondiale.

2021 . Les courbes stagnent et ne permettent pas des assouplissements. « Mais tout n’est pas noir : outre l’immunité naturelle de la population qui progresse et l’arrivée du printemps, les vaccins vont permettre de faire baisser les courbes en 2021, en tablant, dans un premier temps, sur la réduction des hospitalisations (avril - mai). » Un bémol - L’apparition de plusieurs variants du virus : selon l’épidémiologiste UCLouvain « ces alertes rappellent l’importance de la campagne de vaccination et la nécessité de passer à la vitesse supérieure. En attendant, il ne faut pas assouplir trop vite les mesures de confinement. Nous devrions pouvoir envisager une sortie de crise progressive pour l’automne, mais le vrai soulagement sera, sans doute seulement pour 2022. »

2022 . Pourra-t-on enfin revenir à la vie d’avant ? « Le monde sera un peu différent, avec par ex. le maintien du port du masque, dans certaines situations ou davantage de ventilation, comme outil de prévention. Nous ne savons pas encore dans quelle direction ce virus va évoluer, et un système d’information sanitaire impeccable sera donc plus que jamais essentiel. »

Selon Isabelle Roskam , psychologue, spécialiste de la parentalité à l’UCLouvain, il est temps de réfléchir à comment saisir des opportunités de développement pour tous ces enfants, ces jeunes, ces familles et de tirer des apprentissages sur ce rapport à la moralité, à la motivation au respect des règles et sur la manière d’amener les jeunes et les familles à adhérer à un système qui régule nos échanges et nos comportements vis-à-vis des autres.

La spécialiste suggère, pour la suite de la gestion de cette crise et pour les suivantes, de davantage s’appuyer sur l’expertise disponible en sciences humaines et notamment en développement humain pour travailler ces questions de l’adhésion à la règle et d’opportunité de développement, et ainsi éviter d’être juste impactés par la souffrance.

C’est toutefois un regard contrasté qu’il porte sur l’année écoulée en raison des changements dans les pratiques psychiatriques  que la crise a suscités, parmi lesquels répondre à des demandes d’entretiens et mener des consultations par téléphone ou vidéo. Parmi le public rencontré, beaucoup de personnes travaillant dans l’horeca, la culture, mais aussi des personnes âgées et isolées. Fait remarquable, des patient·es ’habitu­els’ se sont dits conscients de la charge de travail et ont proposé de se mettre en retrait afin de ne pas aggraver une situation déjà critique.   

Gérald Deschietere a une pensée particulière pour les nombreux soignants et soignantes que lui et son équipe ont tenté de soutenir , dans une situation totalement inédite : « ce n’est pas rien de partir travailler en se disant qu’on met sa vie en danger ».  

Reviendra-t-on à ’la vie d’avant’ - Responsable d’une salle d’urgence, le psychiatre est bien placé pour savoir que le terme ’crise’ représente aussi une opportunité  et que revenir en arrière n’est pas toujours souhaitable. Il espère que celles et ceux qui ont bénéficié de plus de temps auront pu réfléchir à ce qu’ils veulent faire de leur vie et aux moyens d’améliorer le monde dans lequel ils vivent. Il a, par ailleurs, rencontré des patients qui, alternant télétravail et présentiel, se réjouissent d’avoir réduit le nombre d’heures passées en déplacements. D’autres ont gagné du temps mais présentent des troubles du sommeil. « Cette crise n’était pas souhaitée, elle est dramatique, mais elle va peut-être permettre de recréer nos existences. » On constate aussi moins de problèmes de périnatalité et moins de grossesses à risque et, dans un autre registre, moins de grippes et d’infections gastro-intestinales.  

Quant aux critères qui ont conduit aux deux confinements, Gérald Deschietere les juge relativement bons, compte tenu de ce qu’il a vu du fait de sa grande proximité avec des collègues, des patient·es et des familles touché·es par la maladie. Il plaide pourtant pour un discours plus clair et plus positif  : encourager les activités en plein air  et celles qui conduisent à bouger  et inciter à prendre soin de soi et des autres. Il attend un discours plus complexe qui permettrait de voir ses proches et de retrouver le sourire, regrettant la réponse parfois trop dogmatique du politique. Il s’inquiète sérieusement de l’épuisement des soignant·es. « Il faut trouver le bon équilibre entre le devoir de protéger et la possibilité pour chacun·e de préserver sa santé mentale. Comment, dans une société très individualiste, apprendre à prendre soin des autres ? Comment favoriser les liens de solidarité ? » 

Pour l’avenir, Gérald Deschietere demande qu’on renforce la santé publique tout en préservant les libertés  ; qu’on prenne des mesures qui favorisent la santé mentale et qu’on arrête la distinction entre métiers essentiels et non essentiels , peu respectueuse. « La vie, c’est aussi ce qui échappe à la ’protocolisation’ », conclut-il, « ce sont ces moments interstitiels qui surgissent tous les jours, partout, dans les transports, dans la rue, dans les commerces, un salut, un échange, une attention à l’autre. » 

Evitons de réduire la justice à du donnant-donnant

Un an après le début de la pandémie, Axel Gosseries, responsable de la Chaire Hoover d’éthique économique et sociale de l’UCLouvain, pointe la grande vulnérabilité de nos sociétés. Il a suffi d’un grain de sable pour mettre nos sociétés à terre. La crise de 2008 avait d’ailleurs démarré elle aussi en mode mineur par une crise des crédits immobiliers aux États-Unis.  
Autre constat, la difficulté, pour nos sociétés, de mener à bien des réorganisations d’ampleur. Certes, il a fallu agir vite. Mais même une chose relativement simple comme le port du masque semble rester un problème. En revanche, on l’a vu, il n’est pas illusoire de prétendre couper nos liaisons aériennes. 
Le philosophe UCLouvain s’étonne encore de la place prise par la dimension générationnelle : le critère d’âge a été retenu pour des raisons d’efficacité médicale - en privilégiant les jeunes pour l’accès aux soins intensifs et les plus âgés pour l’accès au vaccin. Mais l’âge est central aussi dans le débat sur la ’jeunesse sacrifiée’.  
Reviendra-t-on à la vie d’avant ? Axel Gosseries se demande surtout si c’est souhaitable. Il faudra faire le bilan de ce que la crise a révélé sur ce qui importe dans nos vies, sur ce que sont les maillons faibles de notre organisation collective, mais aussi sur les nouveautés que la crise a révélées ou rendu possible. Non seulement la vie d’avant présentait pas mal de difficultés (inégalités, inertie climatique) mais la crise a aussi été un laboratoire  : témoin le recours au virtuel à large échelle qui, si on apprend à l’équilibrer avec le présentiel, apporte aussi des solutions, par exemple aux problèmes de mobilité. 
Quant aux objections au confinement, Axel Gosseries nous propose d’imaginer un instant que, plutôt que les personnes âgées, le covid eut touché presque exclusivement les femmes entre 25 et 30 ans, avec 21 000 décès concentrés sur ce groupe plutôt que sur nos ainés. L’adhésion aux mesures eut-elle été plus forte ? Si oui, cela nous dirait quelque chose sur le critère d’âge. Eut-elle été identique, cela indiquerait dans ce cas que nous ne sommes pas prêts à accepter des coûts importants pour nous-mêmes si les bénéfices sont concentrés sur d’autres.  
Évitons pourtant, poursuit le philosophe, de réduire la justice à du donnant-donnant. La justice, ce sont aussi des bénéficiaires nets et des contributeurs nets, des personnes qui donnent plus à la société parce qu’elles ont plus de moyens, et d’autres qui reçoivent plus parce qu’elles ont été moins gâtées, par la nature par exemple. 
Et demain ? Pour Axel Gosseries, il faut reprendre au plus vite la lutte sur les fronts laissés suspens : la pauvreté et les inégalités, les richesses excessives des GAFA, notre inertie climatique, l’effondrement de la biodiversité... Gagnons en lucidité sur ce qui fait sens dans nos vies mais aussi sur ce que nous sommes capables de faire, par exemple pour réduire notre hypermobilité, qui a contribué à répandre le virus et qui reste un problème sur le plan climatique. 

Exemple : les liens entre les types d’aliments disponibles, leur mode de production et la santé publique  ne sont pas toujours visibles. Pourtant ils doivent être vus en lien avec l’émergence de pathogènes et intégrés dans les prises de décision, estime la géographe médicale.  
Le fait que la crise ait démarré dans une région lointaine où d’autres habitudes culturelles ont cours a pu donner le sentiment que nous ne sommes pas concernés. Or la façon dont le bétail est élevé dans nos pays ne nous met pas à l’abri. Un seul exemple, les aliments donnés au bétail ne sont pas toujours produits localement.  

Sophie Vanwambeke pointe aussi l’extrême connectivité entre les humains qui facilite une diffusion rapide des pathogènes à l’échelle mondiale  : le volume - le nombre de passagers qui prennent l’avion - et la rapidité des déplacements ont fait un bond en avant gigantesque.  

Un motif d’espoir - L’interdisciplinarité, car elle permet d’examiner la santé sous différentes facettes. C’est l’objectif du mouvement One Health, qui défend l’idée qu’il ne faut pas faire de différences entre la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale, car tout est lié. En Belgique, le Belgian One Heal­th Network, hébergé par Sciensano et le SPF santé publique, sécurité de la chaîne alimentaire et environnement, s’associe à cet objectif et rassemble des chercheurs de différentes disciplines.  

Pour la chercheuse UCLouvain, cette crise offre l’opportunité d’intégrer la santé dans les décisions qui touchent à des domaines très différents  afin de nous mettre en position d’être proactif lorsque des problèmes de ce type surgissent. « Il faut être conscient que la santé de la population est liée à nos comportements collectifs. C’est le cas pendant cette crise, c’est aussi le cas en ce qui concerne nos modes de production et de consommation », insiste la géographe. Qui a à coeur de soulever une facette positive de l’impact des écosystèmes sur notre santé, à savoir la valeur significative que la nature apporte dans la vie quotidienne. C’est un aspect qui est encore peu développé en Belgique contrairement à d’autres pays ou villes.  

Les priorités et les perspectives pour Sophie Vanwambeke - Renforcer les efforts pour comprendre les mécanismes derrière l’émergence de pathogènes  pour ne pas se retrouver à chaque fois face à l’inconnu ; comprendre quels sont les contextes favorables à ce type d’émergence ; prendre en compte, dans les décisions, la possibilité que des agents pathogènes apparaissent  et se répandent au sein de la population. Les chercheurs sont très actifs dans ces domaines - témoin le réseau Belgian One Health Network - et il est important de rendre ces questions visibles.  

Si d’aucuns aspirent à revenir à la vie d’avant, le chercheur espère qu’on n’y reviendra pas, dans l’espoir d’aller vers un mieux. Selon lui, un des rares côtés positifs à la crise est qu’on a eu l’occasion de revisiter la manière d’agir et de faire une remise à plat.  

Autre constat posé par l’enseignant avec sa casquette de physicien  : il a fallu trop de temps pour se rendre compte de la façon dont le virus se propageait dans l’air comme les aérosols  et réaliser que la mesure du CO2 comme indicateur de la qualité de l’air était primordiale. Il explique que ni l’OMS ni a fortiori Sciensano n’avaient les compétences disponibles pour s’en rendre compte. « Je pense qu’on s’est beaucoup trop peu parlé entre spécialistes de disciplines différentes », regrette le climatologue UCLouvain, qui pointe le rôle joué par le GIEC sur la question climatique : ce groupe d’experts suit une procédure très structurée pour évaluer les apports de toutes les disciplines. « En matière de santé, il n’existe rien, ce n’est pas le mandat de l’OMS. » L’ancien vice-président du GIEC suggère de créer une instance interdisciplinaire, sur le modèle de ce groupe d’experts, qui mettrait les résultats des recherches en médecine, virologie, épidémiologie, écologie mais aussi d’autres disciplines, comme la psychologie ou la santé mentale, au service de la décision politique.  

On l’a compris, améliorer l’interdisciplinarité scientifique dans le conseil aux décideurs est une des priorités pour l’avenir. Mais aussi, apprendre à mieux respecter la nature et les écosystèmes  puisque la crise actuelle y est en partie liée. Et, insiste le climatologue, il faut une nouvelle fois, tenter de réduire les inégalités. Car ceux qui font partie des strates les plus fragiles sont aussi ceux qui sont les plus vulnérables au covid-19. Sa conclusion - La crise montre une fois de plus que « nous sommes tous sur le même bateau. Le bien-être de ceux qui occupent les étages supérieurs dépend aussi du bien-être de ceux qui sont dans les cales. » 

De nombreuses études scientifiques montrent que, dans une entreprise, la créativité, l’innovation ou la collaboration requièrent une proximité physique. « Le défi qui attend les équipes sera d’identifier les activités que la société veut mener et qui nécessitent la présence des personnes. A l’avenir, nous serons plus absents des bureaux, mais mieux présents ensemble ». Pour Laurent Taskin, le télétravail n’est pas une finalité en soi. Il est au service d’un projet, d’une stratégie organisationnelle. « Il ne s’agit pas simplement de dupliquer à distance le contenu d’une journée de travail en présentiel. Pour tirer le meilleur du télétravail, il est important de l’organiser en fonction des objectifs de l’organisation.

Autre constat interpellant : l’épidémie de covid-19 n’a pas touché le territoire belge de manière homogène. Différents facteurs peuvent influencer la propagation d’un virus et l’intensité de sa mortalité, tels que la densité de population d’un territoire, la mobilité des populations, l’importance des interactions sociales interpersonnelles (familiales, amicales...) ou encore la pauvreté. Les chercheurs UCLouvain constatent que cette surmortalité révèle l’existence d’inégalités sociodémographiques majeures affectant les âges, les sexes, les groupes sociaux, les populations rurales et urbaines :

  • L’âge est le premier facteur qui joue un rôle majeur dans la surmortalité engendrée par cette pandémie. Elle concerne tous les groupes d’âge au-delà de 45 ans, mais elle s’intensifie au fur et à mesure que l’âge augmente en raison notamment de risques accrus en cas de comorbidité. Cette surmortalité liée à l’âge se confirme sur l’ensemble du territoire belge ;
  • Le sexe est le deuxième facteur notable. Sur l’ensemble de l’année 2020, le niveau de surmortalité des hommes et des femmes est quasiment identique. Mais, dans le cas de la première vague de la pandémie, on constate, au fil de son évolution, une inversion des tendances  : durant la phase ascendante de surmortalité, les hommes sont affectés par une surmortalité plus marquée que celle des femmes, tandis qu’au moment du pic de surmortalité et durant sa phase décroissante, la surmortalité féminine est plus intense. Cette inversion de tendance s’explique en grande partie par la situation des maisons de repos et de soins. Premièrement, celles-ci ont été contaminées plus tard que la population hors maison de repos. Deuxièmement, il y a, par exemple en Wallonie, quatre fois plus de femmes que d’hommes en maison de repos. Et enfin, le taux de contamination aurait été près de trois à quatre fois supérieur en maison de repos qu’en dehors des maisons de repos.
  • Le lieu de résidence est un troisième facteur de surmortalité puisque la distribution spatiale de l’épidémie met en évidence d’importantes disparités territoriales. Les zones les plus fortement touchées sont la Région de Bruxelles-Capitale , les zones de Mons, Hasselt et Liège. Pour Bruxelles, cela peut être mis en rapport avec la densité de population. Mons apparaît comme un cas isolé au sein des arrondissements hennuyers tandis que pour Hasselt, les arrondissements voisins sont également en surmortalité assez élevée, au point de constituer un cluster allant du Limbourg à l’est de la Province de Liège.


Pour les démographes, des analyses ultérieures devront aussi étudier les inégalités sociales lors de cette épidémie car les belges ne sont égaux ni face à la santé, ni face à la mort.

Au-delà des chiffres bruts de mortalité, indiquent les chercheurs, cette crise sanitaire marquera de son empreinte nos sociétés. « La maladie et la mort redeviennent subitement des phénomènes de masse mettant sous pression les structures sanitaires et révélant des situations critiques. La crise et les mesures de confinement constituent un révélateur et un amplificateur des inégalités face à la maladie et à la mort. »

Attention à l’état de fatigue du personnel soignant, au front depuis 1 an déjà

Comment avez-vous vécu la crise en tant que directeur d’hôpital ?
Cette crise est évidement une situation inédite. Jamais, au cours de son histoire, Saint-Luc n’avait été contraint d’annuler toutes ses activités , sauf urgentes, pour permettre l’accueil massif de patients présentant la même pathologie, hautement contagieuse qui plus est. En tant que directeur d’hôpital, j’ai vécu cette période avec une intensité extraordinaire en me dédiant, tout comme l’ensemble du management, entièrement à la gestion de la crise. Nous avons dû nous réinventer tous les jours pour assurer la continuité des soins, en toute sécurité, dans un environnement particulièrement instable.   Comme nous tous et toutes, en cette période inédite, j’ai connu des doutes, des remises en question, d’intenses émotions. Il est essentiel à mes yeux de reconnaître que nous avons vécu une sorte de traumatisme et d’en faire quelque chose de plus fort encore.

1 an après le démarrage de la crise, quel bilan dressez-vous de la gestion de la crise hospitalière ?
Avant tout, je tiens à mettre en avant le dévouement sans limite des soignant·es et des médecins durant cette crise. À côté d’eux, l’ensemble des métiers présents dans les Cliniques a fait montre d’une incroyable solidarité. Il n’y a pas eu d’acteurs et actrices de l’ombre : tout le monde était en première ligne, solidaire avec les collègues.
Cette crise a été riche en enseignements dans de nombreux domaines de l’hôpital : organisationnel, structurel, processus, communication, leadership, médical, nursing, projets, etc. Par exemple, pour la deuxième vague, nous avons pu compter sur l’expérience et les processus définis lors de la première. Toute l’infrastructure s’est ainsi adaptée et réorganisée en accord avec les directives des médecins et des infectiologues.
À tout moment, malgré les phénomènes de certaines pénuries pour certains matériaux, la sécurité des patients et du personnel a toujours constitué une priorité absolue. Le personnel a été mis à forte contribution durant les deux vagues. Plusieurs mesures de soutiens, psychologiques notamment, ont été mises en place pour venir en aide à ceux qui le nécessitaient.

La complexité de l’organisation de notre pays s’est malheureusement reflétée dans la gestion de la crise avec l’absence de consignes claires ou de mesures importantes à certains moments. À côté de cela, la situation actuelle souligne plus que jamais l’importance des soins de santé. Il est nécessaire de préserver la qualité des soins dans notre pays et plus particulièrement en évitant la diminution des effectifs ou les coupes budgétaires de la part des autorités. Par ailleurs, je crois qu’il y a quelque chose à faire pour améliorer l’attractivité des soins de santé.

Nous ne sommes plus en situation d’urgence : ne faudrait-il pas adapter la gestion de la crise et prendre des mesures qui tiennent compte de sa longueur ?
Je laisse les autorités et les expert·es se prononcer sur cette question. Mais, en tant que gestionnaire d’une structure hospitalière, je ne peux que sensibiliser à l’état de fatigue dans lequel se trouve le personnel soignant - au front depuis une année déjà ! - et de l’importance de ne pas saturer les hôpitaux afin qu’ils puissent continuer à assurer le reste de leurs activités et de leurs missions