Tunisie: les espoirs déchus de la révolution du jasmin

Il y a 10 ans, une vague de protestations anti-régime secouait la Tunisie. Elle marquait le début d’un mouvement plus large : le Printemps arabe. Aujourd’hui, alors que de nouvelles contestations s’expriment en Tunisie, que reste-t-il de la "révolution du jasmin"- Chiara Diana - Cevipol, Faculté de Philosophie et Sciences sociales - répond à partir de ses observations de terrain.

10 ans après, que reste-t-il des espoirs soulevés par la "révolution du jasmin" au sein de la population ?

Chiara Diana : Pour beaucoup, la révolution a été un événement historique qui visait à redonner la dignité, la justice sociale et la liberté au peuple tunisien. D’ailleurs, la révolution tunisienne est aussi appelée "révolution de la dignité" (thawrat al-karama). Néanmoins, 10 ans après, ces espoirs semblent être trahis; et la dignité de ceux qui ont donné leur vie pour la révolution semble être bafouée à jamais. Lors de mes observations de terrain, des habitants m’ont également partagé leurs sentiments de frustration et de déception à l’égard de la (non)action des différents gouvernements qui se sont succédés depuis 2011 pour améliorer les conditions sociales et économiques des personnes ordinaires. L’instabilité politique suivie par de multiples crises et le marasme social (vie chère, hausse du chômage), récemment aggravé par la crise sanitaire du Covid-19, remettent en cause ce qui reste de la mémoire de la révolution du 14 janvier 2011 et alimente même une certaine nostalgie de l’ancien régime...

Malgré ces multiples déceptions, la société tunisienne est-elle plus démocratique aujourd’hui ?

Chiara Diana : La Tunisie a fait sa révolution institutionnelle en commençant par la mise en place rapide d’institutions de transition démocratique. D’ailleurs une ancienne ministre de la culture interviewée en Tunisie en 2019 a remarqué que la révolution tunisienne était avant tout une « révolution par le droit » en faisant allusion à l’application de l’article 57 de la Constitution concernant la vacance de la présidence de la République, dès le départ de Ben Ali. Des textes garantissant des libertés fondamentales, comme la liberté d’association et la liberté des organisations politiques, contribuent à rendre la société tunisienne plus démocratique. Néanmoins, l’usage excessif de la force de la part de la police pour réprimer les manifestations de ces dernières semaines, les arrestations massives qui ont suivi et les cas de jeunes arrêtés pour de simples publications sur Facebook contre la répression policière ou la corruption de l’État, font craindre les pires dérives.

Comment cet épisode de l’histoire tunisienne est-il perçu et enseigné auprès des jeunes ?

Chiara Diana : J’ai analysé comment la révolution tunisienne et sa mémoire en tant qu’événement historique étaient transmises aux enfants au sein de l’espace familial et scolaire. Même si les manuels scolaires ont été épurés de toute référence au président déchu Ben Ali, les événements révolutionnaires du 2010-2011, les motivations de la révolution, ses protagonistes et ses martyrs, n’y trouvent pas de place non plus. En outre, les enseignants du primaire que j’ai rencontrés en 2018 et en 2019 ont souligné l’absence d’une volonté de réécrire les manuels scolaires pour décrire la révolution du 14 janvier 2011 et de la présenter comme un événement historique faisant partie de l’histoire nationale tunisienne.

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